Le premier article de ce blog de sagesse est consacré à Arnaud Desjardins, sage français du XXème siècle – début XXIème siècle, qui a généreusement transcrit toute sa quête spirituelle dans des livres. J’ai eu la chance de le rencontrer 5 fois et vous partage ce que j’ai compris de son enseignement.
Arnaud Desjardins explique dans ses livres avec une transparence étonnante, ses difficultés de vie, il fait état de ses déceptions d’enfant (notamment à la naissance de son frère où l’amour de sa mère n’était plus tourné exclusivement vers lui), puis d’adolescent (il caressait le rêve d’être comédien alors que ses parents l’orientaient vers des études en Sciences Politiques dont il sortit diplômé) et enfin de jeune adulte où il faillit perdre la vie ayant contracté la tuberculose qui ruina, en plus, ses fiançailles. Plus tard, il épousera Denise Desjardins, de leur union naquirent deux enfants. Il vivra une aventure avec la chanteuse Dalida, puis divorcera. Sa vie d’homme occidental était tiraillée entre une fascination pour les femmes, l’envie d’une réussite professionnelle et une intense nostalgie de spiritualité au plus haut niveau.
Ce n’est pas pour s’appesantir sur son expérience de vie faite de haut et de bas, qu’il se raconte, mais bien pour faire état qu’il n’a pas toujours été l’homme qu’il est devenu. En effet, je l’ai rencontré une première fois en 2005 lors d’un séjour, il avait 80 ans et l’énergie qui émanait de sa personne et du lieu où il enseignait était nourrissante, à tous les niveaux d’être. Je sentais une douce et vive énergie en arrière-fond, qui me faisait sourire à l’idée d’avoir retrouvé le fil de la vie, la vraie vie.
Qu’est-ce qui a fait qu’un être humain voué aux circonstances, emporté par l’émotion, qui était comme une marionnette dont l’existence tire les fils selon la formule imagée qu’il utilisait, devienne un homme acteur de sa vie, en subtile communion avec chacun, ayant accès à ce qui était caché à nos propres yeux. Je vais partager avec vous une expérience personnelle lors de mon arrivée, il me fit une accolade de bienvenue en m’entourant respectueusement de ses bras accueillants, ceci lui a suffi à sentir l’état de crispation profond dans lequel j’étais. Il dit juste « ouh » … et à l’endroit où il m’avait fait l’accolade, les tensions ont immédiatement disparu, juste à cet endroit précis, mais pas celles où il n’avait pas mis son attention. J’ai été surprise de cette capacité.
Par ailleurs, j’ai reçu par son enseignement la certitude que par un travail sur l’acceptation de sa propre vérité de chaque instant, on fait reculer l’emprise des émotions sur soi, on se libère petit à petit de ses attachements et l’on fait grandir sa liberté intérieure.
Ce chemin est expliqué magnifiquement dans l’émission de radio les Racines du Ciel animée par Frédéric Lenoir et Leili Anvar dans une interview d’Arnaud Desjardins intitulée la transformation de Soi au cours de laquelle il présenta son nouveau livre « Oui, chacun de nous peut se transformer ».
En effet, comme les réponses, à ses interrogations du sens de la vie et de la vérité à propos de maints sujets. qui lui étaient servies dans sa jeunesse ne le satisfaisaient pas, il continua à chercher et à interroger. Issu d’un milieu familial protestant, de 25 à 50 ans (1949 à 1974) il remonta aux sources des grandes religions, en Occident puis en Orient. Il questionna leurs représentants qualifiés, des moines chrétiens, des moines tibétains, des soufis afghans, il alliait ainsi sa quête de vérité avec le métier de reporter pour la télévision française, en filmant avec leur accord les sages qu’il rencontrait. En 1965, il rencontra celui qu’il reconnut comme son instructeur spirituel indien, Swâmi Prajnânpad, auquel il avait fini par se fier et se confier. Son maître indien qui parlait l’anglais et avait lu Freud, faisait office de psychanalyste et de guide spirituel, né dans une famille traditionnelle de brahmanes et scientifique de formation. Pour atteindre la libération de toute l’emprise des désirs et des peurs, l’être humain peut à l’aide d’une psychanalyse guérir l’égo (atrophié dans le cas d’une névrose), puis à l’aide d’un enseignant spirituel authentique, à moins d’être un virtuose de la spiritualité, atteindre à la spiritualité qui guérit de l’égo, c’est-à-dire que l’on a plus besoin de s’appesantir sur soi, mais d’être juste soumis à la justice des situations qui se présentent. C’est un long et difficile chemin, qui commence par un travail sur les émotions, qui passe par la connaissance de soi-même : car pour se libérer des émotions il faut les reconnaître et les accepter en profondeur, à chaque instant.
Arnaud Desjardins affirme que, dire qu’on ne change pas sa nature est faux. Pour lui, le propre de l’homme c’est sa spécificité à changer : mourir à un niveau, pour renaître à un autre niveau (comme la chenille se transforme en papillon). Tout homme a une graine d’éveil possible. Il vient un moment où les intentions qui venaient du, voilà ce que je sens de juste, s’effacent au profit d’une soumission venue de la profondeur de nous-même : voilà ce qui doit être accompli avec une vision beaucoup plus vaste prenant en compte l’ensemble de la situation : « Je n’ai plus le choix est l’état intérieur qui s’impose » comme en témoigne Arnaud Desjardins. Paradoxalement, c’est en se soumettant totalement à la justice des situations que l’on atteint la liberté intérieure. Swâmi Prajnânpad l’affirmait « Complet slavery is perfect freedom » L’esclavage total c’est la liberté parfaite. C’est en quelque sorte un zoom arrière alors que l’attitude habituelle est de faire des zooms avant. Cette attitude remplace le jugement par la compréhension y compris l’amour des ennemis.
La quête spirituelle, c’est en fait, une quête de liberté intérieure, c’est se défaire de toutes les chaînes qui nous attachent. D’ailleurs, ce qui discerne un vrai enseignant spirituel c’est celui qui nous rend plus autonome et le faux vous rend plus dépendant. En effet, le sage ou maître spirituel authentique est dans un état stable de paix, même dans les pires conditions, paix, joie et amour sans contraire. Avant d’en arriver là, il y a tout un chemin d’observation de soi, dans une conscience témoin sans identification. C’est un travail très exigeant, de tout son être, où l’on doit sans cesse revenir à l’essentiel et se souvenir de notre part indestructible, en se situant dans notre conscience non identifiée, à chaque fois que l’existence à pouvoir sur nous, de faire lever un désir ou une aversion, c’est un état de vigilance d’instant en instant. Il se crée au fur et à mesure une structure intérieure, où le destin a moins de prise.
Voici un extrait du livre de Maurice Maeterlinck de la Sagesse et la destinée qui a profondément touché Arnaud Desjardins à l’âge de 23 ans : « Il y a en tout être, un certain désir de sagesse, qui pourrait transformer en conscience la plupart des hasards de la vie et ce qui a été transformé en conscience n’appartient plus aux puissances ennemies. Une souffrance que votre âme a changé en douceur, en indulgence, en sourire patient, est une souffrance qui ne reviendra plus sans ornement spirituel, et une faute ou un défaut que vous avez regardé face à face, est une faute ou un défaut qui ne peuvent plus vous nuire et qui ne peuvent plus nuire aux autres. Il existe des rapports incessants entre l’instinct et le destin : ils se soutiennent l’un, l’autre, et ils rôdent main dans la main, autour de l’homme inattentif. Mais tout être qui sait diminuer en lui la force de l’instinct, diminue tout autour de soi, la force du destin : il semble qu’il crée une sorte de lieu d’asile, inviolable en proportion de sa sagesse et ceux qui passent par hasard dans la zone éclairée de sa conscience acquise n’ont rien à craindre du hasard, tant qu’ils s’attardent en cette zone. (…) Et s’il se fût assis sur le seuil des demeures de Jocaste, Œdipe n’eût pas songé, à se crever les yeux. Il y a des malheurs que la fatalité n’ose entreprendre en présence d’une âme qui l’a vaincue plus d’une fois et le sage qui passe, interrompt mille drames. »
Le but ultime de toute sagesse c’est la liberté intime :
Pour comprendre ce qu’est la liberté intime prenons l’exemple du prisonnier et de son geôlier : Nous pourrions penser en premier lieu que le geôlier est plus libre que le prisonnier, mais attention si le geôlier est esclave de son égoïsme et des réactions qui se lèvent en lui et que le prisonnier est un authentique tibétain ou chrétien, alors le vrai prisonnier est le geôlier (car il est prisonnier de ses états intérieurs) alors que le prisonnier en apparence se trouve dans un état de liberté intime (car il est libéré de ses attachements). D’où la question essentielle sur la voie de la sagesse : Est-ce que je peux être établi(e) dans l’amour d’instant en instant ?
Evangile selon St Jean : « Celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ».
Est-ce que j’ai la liberté de demeurer dans l’amour, même quand quelqu’un m’énerve ? Non, quand quelqu’un m’énerve, je ne l’aime plus. Tout ce qui me contrarie m’exile de l’état d’amour. Je veux gagner cette liberté et que rien ne puisse m’arracher à cet état d’amour.
Le sage aime comme le feu chauffe et éclaire : toute personne qui s’approche du feu, est chauffée et éclairée.